Le portrait du comte de Provence par Vigée Le Brun : un tournant dans la carrière de l’artiste
Elisabeth Vigée Le Brun entre dans le cercle de la famille royale en 1776, grâce à une commande de douze portraits du comte de Provence, frère de Louis XVI et futur Louis XVIII. Cette commande, passée par Cromot du Bourg, surintendant des Maisons et Domaines du comte de Provence, est sa première commande royale officielle et un moment décisif dans sa carrière. Le pastel daté de 1776, probablement exécuté à partir d’une rapide séance de pose, pourrait être l’original des douze portaits du comte, payés 2320 livres, une somme confortable. Le type de copies produites (pastel ou huile) reste incertain. Avant les commandes du comte de Provence, Vigée Le Brun avait réalisé, comme galops d’essai, des copies au pastel du grand portrait de la reine de Gautier-Dagoty, qui avait pourtant déplu à Marie-Antoinette.
Le portrait du comte de Provence est d’un style particulièrement enlevé, typique de Vigée Le Brun au pastel. Elle y déploie sa maîtrise des hachures colorées pour donner du relief aux visages masculins, inspirés de la technique de Jean-Baptiste Perronneau. Ce portrait se distingue par des couleurs vives, des textures riches et une lumière qui met en valeur le modèle.
Par la suite, Vigée Le Brun peindra de nombreux portraits de membres de la famille royale, avec notamment la présentation au Salon de 1782 d’effigies du comte et de la comtesse de Provence et de Marie-Antoinette. En 1783, un portrait en pied du comte de Provence, inspiré d’un Drouais, est payé 3000 livres.
Dans ses Souvenirs, Vigée Le Brun se souvient de Monsieur (le comte de Provence selon le titre donné au premier frère du roi) comme d’un homme cultivé, aimable et bavard. Elle raconte ses séances de pose, parfois agrémentées de chansons triviales, et évoque l’accueil enthousiaste du public lors de ses allées et venues à Versailles. Monsieur était alors considéré comme un prince « libéral », formant un parti distinct de celui du roi à la Cour.
La technique de Mme Vigée le Brun
Dès 1776, la réputation d’Elisabeth Vigée Le Brun est bien établie. Membre de l’Académie de Saint-Luc depuis 1774, elle est saluée pour ses portraits ressemblants et flatteurs, érigeant leurs modèles au rang de représentants d’une société aristocratique « galante et insouciante » (Pierre de Nolhac, Madame Vigée-Lebrun, peintre de Marie-Antoinette). Elle utilise notamment des papiers teintés sur toile, enduits pour retenir les couches de pastel, et travaille au doigt ou à l’estompe avant d’appliquer des hachures colorées, les rehaussant de blanc ou en y superposant, par hachure ou aplat, des tons plus chauds ou plus froids. Elle produit ainsi des effets lumineux que l’on pourrait presque qualifier d’impressionnistes. On trouve dans ce portrait de Monsieur la technique de déconstruction de la couleur en hachures de teintes différentes, chaudes ou froides, qui caractérise quelques portraits d’hommes de la même époque.
Pour ces visages, la technique de Vigée Le Brun emprunte à celle de Jean-Baptiste Perronneau : multiplication des hachures de couleurs différentes pour rendre les nuances de la carnation plus ou moins sanguine, d’une peau plus ou moins fraîche, tout en atténuant les défauts liés à l’âge. Le rendu vibrant des chairs se veut ainsi le reflet du caractère.
Les couleurs inhabituellement vives, parmi les pastels de Vigée Le Brun, de l’habit d’homme, aux plis soulignés d’un trait noir énergique, ombré de grands aplats bruns, font ressortir le bleu appuyé du cordon et de la croix de l’Ordre du Saint-Esprit. L’arrondi du visage est également marqué, les yeux bruns sont expressifs, la chevelure brune et les sourcils relevés de poudre.