La vraie grandeur du chef-d’œuvre de Jules hardouin-mansart
L’image actuelle de la galerie des Glaces, ornée de trois rangées de lustres modernes sur toute sa longueur, fait référence à un usage exceptionnel de celle-ci, lorsqu’elle était transformée en salle de bal. Ceci ne se produisit qu’une dizaine de fois sous l’Ancien Régime, essentiellement lors des mariages des dauphins de France, ainsi que du duc de Bourgogne en 1697 et des deux frères du futur Louis XVI, en 1771 et 1773. Le nombre et la disposition des lustres, qui ne faisaient pas partie du décor de la galerie, variaient à chaque fois et les Menus Plaisirs les déposaient immédiatement après les fêtes.
La galerie des Glaces © Château de Versailles / T. Garnier
Au cours des années 1970, le besoin s’était fait sentir d’animer davantage un château que l’on jugeait vide et triste. Le parti fut pris d’évoquer le dispositif lumineux du mariage du futur Louis XVI et de Marie-Antoinette. Vingt lustres et vingt-quatre torchères portant des girandoles furent alors fabriqués et inaugurés en 1980. Cette présentation permanente de la galerie des Glaces sous forme de salle de bal a rapidement posé question. Aujourd’hui, la nouvelle configuration avec une seule rangée centrale de lustres permet de rétablir un état du château de Versailles plus authentique, au plus près de la réalité du palais devenu siège de la Cour et du gouvernement du royaume de France en 1682. La galerie des Glaces remplaçait alors une terrasse peu fonctionnelle et mal adaptée au climat français. Elle assurait la jonction entre les Grands Appartements du Roi et de la Reine en offrant au château une salle suffisamment prestigieuse pour accueillir les grandes cérémonies d’apparat, comme les réceptions d’ambassadeurs.
Le maintien de six lustres centraux tel que cela a pu être le cas sous l’Ancien Régime permet donc de restituer l’expérience originelle de la galerie. Ce choix rétablit le dialogue subtil entre les fenêtres ouvertes sur les jardins et les miroirs qui leur font face, avec cette dilatation de l’espace que renforce la voûte baroque, pleine de perspectives en trompe-l’œil ouvrant la galerie sur le ciel. Les proportions inouïes de cet espace, les pilastres aux chapiteaux d’ordre français soutenant une corniche qui semble libérée de la pesanteur, le rythme des travées, la monumentalité des deux grandes baies ouvrant sur les deux salons d’angle, autant d’éléments d’une merveille architecturale que le faux-plafond formé par les lustres pouvait occulter.
redécouvrir l’ÉpopÉe de Louis XIV peinte par Charles Le Brun
Ainsi, c’est toute la lisibilité du chef-d’œuvre de Charles Le Brun qui est rétablie. Matérialisation éblouissante de l’esprit du Grand Siècle, véritable chapelle Sixtine de l’art français, cette voûte majestueuse était jusqu’ici en grande partie masquée et les regards détournés vers la perspective de la galerie, brisant la verticalité et empêchant une perception d’ensemble. Désormais, les visiteurs pourront embrasser d’un seul regard l’élévation de la salle et seront naturellement conduits à lever les yeux vers les plafonds dont l’éclairage a par ailleurs été entièrement renouvelé.
Le plafond de la galerie des Glaces, du côté du salon de la Guerre © Château de Versailles / T. Garnier
On redécouvrira ainsi la magnificence des scènes célébrant les hauts faits du Roi-Soleil. Le cycle des peintures est centré sur la guerre de Hollande où les victoires françaises ramènent l’Europe vers un ordre nouveau que le visiteur comprend en cheminant du salon de la Guerre au salon de la Paix. La geste royale est mêlée à la mythologie, scandée de références à l’Antiquité, parfois ponctuée d’éléments exotiques comme une splendide armure de samouraï, rappelant l’ouverture du royaume sur le monde. Chaque scène est accompagnée d’un cartouche explicatif en trompe-l’œil et dont les textes sont de Racine et Boileau, ce qui rappelle l’importance que le roi accordait à la bonne lecture du programme.
Au temps du mobilier d’argent
Si les torchères évoquent le décor de la galerie à la fin du règne de Louis XV, cette redécouverte de la galerie des Glaces s’accompagne d’une évocation inattendue, celle des orangers présentés le long des parois de la galerie dans de grands vases d’argent pendant la décennie 1680, celle qui précède la fonte du mythique mobilier d’argent en 1689. Des vases du même modèle dessiné par Claude Ballin, mais en bronze, ornent depuis le XVIIe siècle les parterres du château. Le chantier occupant le parterre Nord est l’occasion d’en présenter provisoirement une série à l’intérieur de la galerie des Glaces, garnis d’orangers très illusionnistes créés par un bronzier et un céroplasticien, pour évoquer cet ornement oublié auquel il ne manquera que le parfum pour transporter le visiteur au temps de Louis XIV.
Le château de Versailles et la direction du musée national poursuivent ainsi la quête sans fin d’un état du château qui soit à la fois juste et respectueux de l’histoire, tout en ne renonçant jamais à la folie de cette splendeur unique de Versailles.
L'évocation des orangers et du mobilier d'argent dans la galerie des Glaces © Château de Versailles / C. Fouin







