Un voyage diplomatique, une commande royale
En 1665, Gian Lorenzo Bernini (1598 - 1680), plus connu en France sous le nom du Bernin, est au faîte de sa carrière. Il est le sculpteur et même l’artiste le plus célèbre d’Europe.
Louis XIV l’invite alors à Paris, à l’initiative de Colbert, surintendant des Bâtiments du Roi. Le pape Alexandre VII donne son autorisation à ce voyage et lui confère ainsi un caractère quasi-diplomatique. C’est un événement qui suscite un véritable engouement dans toute l’Europe, d’autant que c’est l’unique voyage jamais effectué par l’artiste en dehors d’Italie.
Le Bernin arrive à Paris le 2 juin avec ses assistants. Dès le 20 juin, le Roi formule en personne à l’artiste la commande de son « portrait en marbre ». Dès le lendemain le sculpteur se met au travail, acceptant alors de prolonger son séjour en France pour réaliser ce buste, qui est présenté à Louis XIV le 5 octobre 1665.
Paul Fréart de Chantelou, maître d’hôtel ordinaire du Roi, érudit et italophile, est chargé par Colbert d’accompagner le Bernin durant son séjour français. Il tient avec beaucoup de précisions le journal de ce voyage. Grâce à ce précieux témoignage on connait l’avancée de la commande royale, les échanges entre l’artiste et le roi et les réactions de la Cour. On peut même y percevoir certains états d’âme du sculpteur.
au-dessus de l’épaule du sculpteur
On y suit également, presque pas à pas, le processus de création du Bernin, de la commande du marbre à la présentation du buste achevé.
Ainsi le sculpteur fixe d’abord « l’action » qu’il souhaite donner à son œuvre en s’imprégnant de l’image et des attitudes de son modèle grâce à des esquisses réalisées pendant que le roi travaille avec ses conseillers, reçoit en audience ou joue à la paume, sans que celui-ci ne doive poser. Le Bernin réalise simultanément un modèle du buste en argile. L’idée générale de l’œuvre est ainsi décidée.
Vient ensuite le travail sur le marbre, préalablement dégrossi par Giulio Cartari, assistant du Bernin. Le sculpteur se met à l’œuvre avec passion.
Enfin, Louis XIV accède à la demande de l’artiste et lui accorde la faveur exceptionnelle de treize séances de pose, au cours desquelles Le Bernin sculpte jusqu’aux moindres détails du visage du souverain, même ceux qui déplaisent au roi.
Ce véritable chantier-spectacle se déroule parfois devant plus de quarante courtisans, réunis dans l’atelier du sculpteur situé au palais Mazarin, près du Louvre, ce qui gêne parfois l’artiste. Chacun exprime ses commentaires et critiques, relevés par Chantelou ou rapportés dans les correspondances de l’époque.
une œuvre emblématique née d’une véritable rencontre entre le roi et l’artiste
Le 5 octobre 1665, après plus de trois mois de travail, le buste est installé au Louvre sur une table recouverte d’un drap d’or. Au terme de cette ultime séance de pose, Le Bernin déclare l’œuvre achevée.
Chantelou rapporte l’émotion de l’artiste à ce moment précis : « Il a dit à Sa Ma[jes]té que l’ouvrage estoit achevé, qu’il souhaitteroit qu’il fust d’une plus grande excellence qu’il y avoit travaillé avec tant d’amour, [...] et finissant ces paroles, qu’il a mal prononcées, il s‘est mis à pleurer de telle sorte, qu’il luy a esté impossible de parler davantage, et s’est retiré, le Roy l’a traitté le plus honnestement du monde ».
Ce moment est l’aboutissement d’une véritable coopération entre l’artiste et son modèle. En effet, Le Bernin considère depuis le départ cette sculpture comme une œuvre commune avec Louis XIV. Le sculpteur disait en parlant du buste : « Il faut que le Roi et moi finissions ceci ». L’artiste s’investit totalement dans cette tâche, ne ménageant ni son temps, ni sa santé; obtenant même l’autorisation royale de pouvoir y travailler les dimanches et jours de fête.
De son côté, Louis XIV est sans doute pleinement conscient de l’importance de cette rencontre avec un tel génie et de la renommée qu’il pourrait tirer de ce chef-d’œuvre. Le roi se prête de bonne grâce aux diverses demandes de l’artiste, jusqu’aux nombreuses et longues séances de pose qu’il déteste habituellement, s’excusant même de ne pouvoir en honorer certaines. Il s’inquiète de la santé du Bernin inlassablement au travail. Il réagit aussi aux différentes étapes de création de l’œuvre ; admire le travail des mèches de cheveux ou encore du collet en dentelle de Venise, s’inquiète également de la ressemblance, demandant s’il a le nez de côté.
Louis XIV a certainement conscience que la majesté émanant de son portrait achevé est une définition nouvelle de la monarchie et de ses ambitions.
Au terme de ces mois de travail, on peut mesurer la satisfaction du Roi au fait que le buste a été exposé, dès son achèvement, dans des espaces publics : tout d’abord au Louvre, puis aux Tuileries.
En 1684, le buste est installé au château de Versailles, devenu résidence d’État. Il est placé dans le salon de Diane qu’il n’a jamais quitté depuis. Au XVIIe siècle, cette image du Roi-Soleil accueillait les visiteurs au débouché de l’escalier des Ambassadeurs, par lesquels ils accédaient aux appartements d’apparat du souverain. Une position prestigieuse et symbolique, choisie par Louis XIV, témoin de son attachement à l’une des œuvres emblématiques de son règne.
L’exposition
À l’occasion des travaux de restauration du salon de Diane, où il est habituellement présenté, en hauteur et à distance du public, l’exposition permettra exceptionnellement de découvrir le chef-d’œuvre du Bernin, pour la première fois de près et à hauteur du regard, tel que l’artiste l’a dévoilé à Louis XIV en 1665.
Cette exposition, présentée dans l'appartement de la Dauphine, réunit autour du buste des œuvres insignes permettant d’en comprendre la genèse ainsi que l’influence.
La première salle présentera ainsi les principaux protagonistes du voyage du Bernin en France (2 juin - 20 octobre 1665) qui vit naître ce que certains historiens de l’art ont considéré être « le plus grandiose portrait baroque ».
La seconde salle, centrée sur l’œuvre du Bernin, présentera ses influences ainsi que les « réponses » françaises à ce chef-d’œuvre. Classicisme français contre baroque italien : un face à face qui se reproduira également sous le règne de Louis XV.
Provenant de collections publiques et privées, françaises et étrangères, les œuvres rassemblées au château de Versailles racontent ce moment essentiel de l’histoire de la sculpture et de l’histoire de l’art.
Commissariat
Lionel Arsac, conservateur du patrimoine au château de Versailles
Scénographie
Antoine Fontaine