« Le visage de Benjamin Franklin est bien celui des grands hommes »

Ma visite à VersaillesVisite de Benjamin Franklin par Charles Gravier de Vergennes
mars 1778

La visite que font Benjamin Franklin et deux autres plénipotentiaires à Louis XVI en 1778 est d’une importance capitale. Depuis la Déclaration d’indépendance par le Congrès américain le 4 juillet 1776, la guerre pour l’indépendance entre l’Angleterre et les colonies fait rage. Pour s’assurer la victoire, le Congrès nomme des représentants dans toutes les cours d’Europe. La France, qui ressort extrêmement affaiblie de la guerre de Sept Ans, a perdu une grande partie de ses possessions, notamment en Amérique du Nord. Les traités signés avec l’Angleterre, qui récupère les territoires français, sont perçus comme humiliants par l’opinion publique. C’est donc en France, que la cause américaine aura le plus d’écho. Le comte de Vergennes mène des tractations secrètes avec ceux que l’on appelle les insurgents, les partisans de l’indépendance américaine. D’autres sont plus prudents. Ainsi, Turgot, contrôleur général des finances, est favorable à la paix. De son côté le roi Louis XVI a des réticences à soutenir un Congrès démocratique qui se rebelle contre une monarchie, qui en outre, est la première puissance navale au monde. Après de longues tractations, les négociations aboutissent à la signature d’un traité.

C’est ce document que remet le roi Louis XVI aux trois représentants de la jeune république autoproclamée en ce 20 mars 1778. Par ce geste la France devient la première puissance à reconnaître l’existence d’un État américain indépendant...

Le texte qui suit est un récit fictif du comte de Vergennes conçu à partir de pièces et de témoignages que vous pouvez découvrir à l’occasion de l’exposition Visiteurs de Versailles, au Château de Versailles jusqu’au 25 février 2018.

Le 19 mars de l’an 1778 : la monarchie au secours d’une république

Que de chemin parcouru depuis qu’en septembre 1776, M. Deane nous sollicitait au nom d’un « Congrès » américain pour négocier un achat d’armes et d’uniformes ! Qui aurait pu deviner que l’imprimeur physicien autodidacte qui l’accompagnait allait devenir le centre de l’attention de tout Versailles, et faire signer un traité d’alliance entre une congrégation en rébellion contre son roi et l’une des plus vieilles monarchies d’Europe ?

Quel personnage que ce Benjamin Franklin ! Car c’est bien de lui dont il s’agit. Déjà bien connu de Versailles et du Paris des scientifiques pour son invention du paratonnerre, cet autodidacte de talent a su, depuis son arrivée, renouer avec des connaissances acquises lors de sa première visite à Versailles du temps de feu Louis XV.

Benjamin Franklin (1706-1790) par Joseph Siffred Duplessis

© The Metropolitan Museum of Art, New York

Ce portrait réalisé en 1778 par Joseph Siffred Duplessis - un des peintres favoris de la Cour - témoigne de la forte impression que fait Benjamin Franklin à Versailles. On y découvre un homme sans apprêt, aux habits simples. Mais il ne faut pas se laisser tromper, car c’est dans un cadre chargé de symboles que s’exprime l’importance du personnage : couronne de lauriers, serpent à sonnette, bonnet de la liberté, peau de lion et la mention VIR – homme en latin - sont autant d’indices sur la stature de Franklin.

À la tête de sa troupe, il trouve dans l’esprit fertile de notre siècle les soutiens qu’il espère. Et c’est une véritable franklinomania que l’on voit poindre : les femmes portent des « Lightning dresses » en hommage à son invention du paratonnerre. On ne compte plus les jeunes lieutenants qui rêvent de s’embarquer vers le Nouveau Monde sur les traces du marquis de La Fayette dont on dit qu’il n’a fallu qu’un dîner pour qu’il soit convaincu de partir combattre aux côtés des insurgents.

L’engouement de la Cour pour les représentants d’un peuple en insurrection contre son monarque n’est pas sans provoquer quelques réticences chez notre Roi qui prend l’affaire très au sérieux. Ainsi, nous nous sommes rencontrés à maintes reprises dans ses appartements pour discuter de cette lourde affaire. Alors que nous rencontrions en secret les commissaires du Congrès, il passait de longues heures à étudier la question au milieu des rapports, missives et autres livres de sa bibliothèque. En parallèle, Louis XVI rédigea une fort belle lettre au roi d’Espagne pour que ce dernier ne laisse pas la France seule prendre cette décision si lourde de conséquences : la guerre ouverte contre la marine la plus puissante du monde.

La victoire de Saratoga, qui eut lieu un peu avant l’arrivée de la délégation américaine, fit sortir notre monarque de ses inquiétudes. Il décida de négocier une entente commerciale avec la délégation et de les recevoir comme une ambassade officielle pour leur remettre les traités en main propre…

Dire que cette audience se tiendra demain !

le duc de Croÿ

Il n’appartenait qu’à celui qui a trouvé l’électricité d’électriser les deux bouts du monde

Le 22 mars de l’an 1778 : nous avons assisté à la naissance d’une nation

Il me faut conter cette visite que nous fîmes avec ce qui est désormais devenu une délégation officielle. C’est au matin du 20 mars que nous nous sommes retrouvés, Croÿ, moi-même et les ambassadeurs avec à leur tête le fameux Franklin. De loin, j’apercevais déjà cette silhouette, puis, au fur et à mesure que nous nous approchions, la figure. Le visage de Benjamin Franklin est bien celui des grands hommes. Coiffé d’un chapeau sur ses cheveux blancs sans poudre, il se présentait au milieu du faste de notre Cour en habit d’une simplicité choquante. Sa redingote de drap brun contrastait avec les broderies et les parfums de la petite foule qui déjà s’amassait, attirée par l’originalité du spectacle. Tous étaient incrédules de voir passer dans le champ fleuri de flanelle et de pierreries qu’est la mode de notre Cour, cet homme simple et paisible filant droit vers son destin.

Mirabeau arrive aux Champs Élysées - Louis-Joseph Masquelier (graveur), Jean-Michel Moreau le Jeune (dessinateur) 

© Château de Versailles

Réalisée en 1792 - en pleine Révolution - cette gravure est une représentation allégorique de penseurs du siècle des lumières. Sous le Génie de la Liberté portant une banderole de « La France libre », les personnalités considérées comme ayant permis l’émergence de la démocratie sont regroupées. On y retrouve Rousseau, Voltaire, Montesquieu et Benjamin Franklin qui pose sur la tête de Mirabeau une couronne de laurier, symbole de triomphe hérité de l’Empire romain.

Nous pénétrâmes dans la chambre de notre Roi à qui je présentai tour à tour les trois visiteurs. Sa Majesté prononça alors une phrase dont l’Histoire saura garder le souvenir :

« Assurez bien le Congrès de mon amitié. J’espère que ceci sera pour le bien des deux nations. »

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À mes oreilles, les mots retentirent comme des coups de canon dans l’air calme du matin. Si les traités étaient déjà signés et l’entrée en guerre contre l’Angleterre inéluctable, il y a un abîme entre saisir une opportunité commerciale ou militaire et donner naissance de l’autre côté des mers à une démocratie indépendante.

Par ces mots notre Roi franchissait l’Atlantique comme César le Rubicond, mêlant la France au sort de l’aventure américaine. Dans la simplicité de cette phrase, nous venions d’assister, émus, à la naissance d’une nation.

C’est donc encore étourdis que nous entendions résonner comme un écho la réponse de M. Franklin, sobre, mesurée et sincère : « Votre Majesté peut compter sur la reconnaissance du Congrès et sur sa fidélité dans les engagements qu’il prend. ».

Constitutions des treize États-Unis d’Amérique

© Bibliothèque Municipale de Versailles / Christophe Fouin

Ces constitutions traduites en français, “la langue la plus parlée en Europe”, par Louis-Alexandre, duc de La Rochefoucauld d’Anville, font partie de la stratégie de Franklin pour informer au mieux les cours européennes de ce qu’il se passe aux Amériques. Elles sont ainsi distribuées en deux exemplaires dans toutes les ambassades. Des exemplaires reliés en maroquin rouge sont offerts au Roi, à la Reine, au comte et à la comtesse de Provence et au comte et la comtesse d’Artois. Chacun de ces exemplaires porte les armes de la personne qui les reçoit.

Alors que je présentais les personnalités qui assistaient à la scène, je crus observer que Messieurs Lee et Deane semblaient un peu déçus par la sobriété du protocole. Une mauvaise langue pourrait dire qu’avec leur poudre et leurs habits « à la française », ils espéraient le faste de l’époque où les ambassades qui traversaient les océans étaient accueillies dans l’or et l’argent.

Médaille de l’ordre du Mérite militaire accordée à John Paul Jones, marin écossais présenté à Louis XVI par Benjamin Franklin.

© Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais / image musée de l'Armée

Benjamin Franklin, quant à lui, semblait avoir saisi le grondement de l’Histoire dans le calme des paroles du Roi. Son visage sans fard qui, d’habitude semblait être celui d’une statue de philosophe antique, rayonnait, rajeuni par l’importance du moment. C’est dans cette figure que je saisis la promesse de cette Amérique nouvelle que nous avions vue naître en ce premier jour de printemps. Une Amérique qui, comme lui, croit en la force de la raison et du travail, une nation d’autodidactes lettrés et simples, qui n’estime la valeur des choses qu’à l’utilité ou la commodité qu’elles procurent. Une nation qui pénétrait dans le siècle, libre et conquérante, sous l’aile protectrice d’une des plus vieilles monarchies du continent !

le duc de Croÿ

c'était peut-être la création d'un pays plus vaste que le nôtre et qui pourrait un jour subjuger l'Europe

Les « affaires de l’Angleterre et de l’Amérique », pour reprendre le nom d’une revue publiée à l’époque, ont eu un impact non négligeable à la Cour. De l’enthousiasme d’une grande partie de la jeunesse qu’incarne le marquis de La Fayette jusqu’aux tenues des dames, le parti américain est assumé. Il a su si bien défendre ses vues que l’engagement de la France dans la guerre d’Indépendance est total. Ainsi, sur le terrain, la victoire se dessine peu à peu. Elle aboutit à la signature en 1783 du traité d’indépendance entre la France, les États-Unis et l’Angleterre qui eut lieu à … Versailles.

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