« Les appartements du palais éclipsent tout ce que j’ai pu voir jusqu’ici en matière de luxe, de faste et de beauté »

Ma visite à VersaillesVisite de Hester Thrale
Octobre 1775

Hester Lynch Thrale, née Salusbury, est sans conteste une des femmes les plus brillantes de l’Angleterre de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Mariée à un riche brasseur dénommé Henry Thrale, cette femme, qui eut la chance de bénéficier d’une excellente éducation malgré les revers de fortune de sa famille, ne tarde pas à se faire une place de choix dans le Londres de son époque. Sa société est particulièrement brillante. Elle reçoit dans son salon la fleur littéraire de son siècle : Oliver Goldsmith, la jeune Frances Burney, James Boswell et le grand Samuel Johnson, auquel la lie une profonde amitié. Diariste de renom, la correspondance et le journal de Mrs Thrale sont aujourd’hui considérés comme une référence pour saisir la vie du XVIIIe siècle. Cette femme, qui à la mort de son mari prit son indépendance en faisant un mariage d’amour avec un maître de musique italien, reste une des figures des prémices du féminisme anglais.

C’est avec son époux, Henry Thrale, et le docteur Johnson qu’elle entreprend à l’automne 1775 un voyage en France qui la conduit immanquablement à Versailles... Cette visite est le témoignage de l’importance du château de Versailles pour les personnalités culturelles de l’époque.

Le texte qui suit est un récit fictif de la visite de Hester Lynch Thrale conçu à partir de pièces et de témoignages que vous pouvez découvrir à l’occasion de l’exposition Visiteurs de Versailles, au Château de Versailles jusqu’au 25 février 2018.

Le 23 octobre 1775 : Ma très chère amie,

Mille excuses de ne pas vous écrire plus souvent – nous sommes fort « occupés à regarder autour de nous », comme dit notre cher Docteur. Et vous vous doutez qu’entre Johnson, mon mari, la France et mon journal, le temps que mon cœur voudrait vous accorder s’écoule avant même que je ne puisse le saisir. Mais je vous ennuie déjà en de vaines plaintes alors que c’est de mon voyage dont vous voulez des nouvelles. Reprenons donc son récit. Je vous décrivais dans ma précédente lettre notre arrivée sur le continent après une traversée sans encombre de ce petit bras de mer qui sépare notre belle Angleterre du reste de l’Europe.

Eh bien nous y voilà ! Les appels des mouettes ont été remplacés par la clameur des rues d’une capitale : Paris. Je ne vous embarrasserai point en descriptions d’une ville dont je vous rabattrai les oreilles à notre retour, pour vous confier mes impressions sur la visite que nous fîmes ces derniers jours en ce fameux « Château de Versailles ».

Portrait de Hester Thrale

©National Portrait Gallery, London

Réalisé à Rome entre 1785 et 1786 par un artiste inconnu, ce portait d’Hester Thrale a été peint près de 10 ans après sa visite à Versailles. Depuis, devenue veuve en 1781 elle est unie avec Gabriele Piozzi, le maître de musique de sa fille, une union qui fit scandale. Ce tableau est donc celui d’une femme dynamique et indépendante : on remarque même une petite cicatrice à la commissure droite de ses lèvres, souvenir d’une chute de cheval.

Pour commencer : une simple question. Je me demande bien qui a eu l’idée d’appeler cela un château ! En aucun cas ces perspectives immenses qui frappent dès cette « Place d’Armes » sont comparables à ce que nous mettons derrière le mot « château »… C’est une ville tant cela grouille de monde dans ce palais et ces jardins aux proportions démesurées ! 

Ma chère, si elle peut vous paraître étrange, cette impression je l’avais dès la route qui relie Paris à cette galerie vivante de ce que peut être l’Europe en ce dernier quart de siècle. C’est un véritable cortège composé de carrosses, de charrettes et d’une foule allant à pied que nous croisions. En effet, chose incroyable, ici le palais est ouvert à la vue de tous ! Et, quiconque peut pénétrer dans le château et les jardins pour s’y promener librement. Je veux bien croire ce que l’on nous disait à Paris : les Français se ruent à Versailles et ne se lassent jamais d’admirer - sans le moindre entracte - le spectacle fastueux de la Cour la plus sophistiquée du continent...

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Mais penser que l’on n’y croise que des Français serait oublier que l’immensité de ces galeries est une étape indispensable à l’éducation de tout gentilhomme en devenir. C’est donc entourés des rejetons de la noblesse et de la bourgeoisie de tout le continent que nous nous promenâmes dans la Ménagerie et le Petit Trianon. Vous auriez bien ri à voir ces jeunes messieurs accompagnés de leur précepteurs déjà essoufflés alors qu’ils n’entament qu’à peine leur “Grand Tour”. Bacon disait que « Voyager est pour la jeunesse une forme d’éducation », je me demande si pour ces vieux hommes de science cela n’est pas plus une forme de calvaire. En tout cas, le virus a pris l’Europe entière, de l’Italie à la cour du Tsar, en passant par notre pays. Les allées de ce superbe parc – si l’envie vous prend de le visiter en entier, je vous conjure de prévoir plusieurs jours ! – sont emplies de jeunes noms prestigieux qui font étape dans ce haut lieu des arts et de savoir avant de partir pour l’Allemagne ou l’Italie.

Ainsi donc dans ce palais, le roi vit presque publiquement. Ayant eu la chance d'être introduits, nous avons pu même assister à son souper.

Ces appartements éclipsent tout ce que j’ai pu voir jusqu’ici en matière de luxe, de faste et de beauté. La Galerie mesure tout juste 125 de mes pas – elle est immense ! Et couverte d’ornements !  La façade principale de Versailles est en vérité une chose admirable. Mais les Français sont décidément incorrigibles : ils ne sont jamais lassés de se représenter leur propre magnificence. Ainsi les tableaux figurant leurs palais, ou quelque lieu charmant de leurs jardins, sont les seuls que l’on puisse voir ici. Quant au mobilier, rien n’est à la fois plus gai et plus luxueux que les meubles de Versailles ; des meubles à plaque de porcelaine de Sèvres décorent les appartements de la reine, où un luxueux coffre de velours écarlate brodé d’or, nommé bijouterie, renferme les diamants de Sa Majesté.

Source : The French Journals of Mrs Thrale and Doctor Johnson, 1932.  

Serre-bijoux de Marie-Antoinette

© RMN (Château de Versailles) / © Gérard Blot

Comme tous les visiteurs, Mrs Thrale a pu admirer le serre-bijoux offert à la dauphine en 1770 et placé dans l’alcôve de la chambre de la reine.
Ce cabinet, évoquant ceux du XVIIème siècle, a été réalisé par les Menus-Plaisirs. Le corps principal du meuble, divisé en trois parties, reposait sur un piétement sculpté. Le serre-bijoux était surplombé d’un groupe sculpté représentant la couronne du dauphin. La partie du meuble qui est visible ici correspond au corps principal. Il était entièrement recouvert de velours de Gênes rouge brodé d’or en relief des armes du dauphin et de la dauphine. Aux broderies d’or étaient mêlés des ornements de bronze dont le plus spectaculaire était une grande tête d’Apollon.

Mais je cesse ici ma description qui pourrait être encore longue – et ce n’est pas, chère amie, que le temps que je puis vous accorder s’est enfui. Non il ne faut pas tout vous décrire, car ce serait déflorer votre plaisir. Durant notre dîner, on m’a conté l’histoire d’un voyageur tant passionné du château qu’il avait étudié maintes gravures et lu nombres de récits. Une fois arrivé en ce lieu tant désiré et tant visité en rêve, il finit par être déçu, ce qu’il découvrit n’étant qu’une pâle réplique de sa trop riche imagination ! Ainsi donc je vous laisse ici, en espérant vous trouver en bonne santé à mon retour.

De sa construction à la Révolution, le château de Versailles restera une étape incontournable de tout voyageur entreprenant un « Grand Tour » d’Europe. De par la splendeur de la bâtisse et de ses jardins, mais aussi par son rayonnement culturel, il n’a jamais cessé d’attirer des curieux de tous pays et de tous milieux.

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